Mercredi 09 juillet 2008 : Au delà de soi-même

"I hurt myself today
to see if i still feel
I focus on the pain
The only thing it's real ..."   

Cette chanson superbe (quand elle est interprétée par Johnny Cash) colle si bien au vélo, au sport. Nike en a même fait le thème d'une de ses pubs. http://www.youtube.com/watch?v=6efsOijFsPU&feature=related

Et moi, ce matin, je peux me la fredonner en boucle. Torticolis, épaules bloquées, coude brûlé, hanche et cuisse endolories. Me voilà Robocop à vélo, je marche comme un robot, j'ai toute la peine du monde à aller chercher quelque chose dans mes poches dorsales ... ça va être beau aujourd'hui.

Quelle aventure, ce jour ! 3 cols à plus de 2000 m, 120 km, 3 400 m de dénivelé. Et j'attaque ce jour à moitié frais. Pfff ... Heureusement, l'ordre des cols va me permettre un démarrage progressif, via les magnifiques gorges du Bachelard, en direction du col de la Cayolle. 29 km de montée, mais dont les 8 derniers sont les plus costauds, de 7 à 9%. Le reste, c'est un régal ... Une route parfois large de seulement 2,5m, des tours et des détours sur de petits ponts, le long de parois rocheuses. A sa droite, pour seul garde-fou, un parapet en borne de 40 cm de haut ... sauvage, l'Ubaye, sauvage ! Le fait de partir vers 07h augmente encore plus l'aspect désertique du coin.

Quelle quiétude ... J'ai beau avoir mal partout, je suis trop occupé à admirer le paysage pour me plaindre. Et c'est bien échauffé que nous atteignons le col après environ 2 h d'efforts dans un cadre somptueux. Jocelyn est cependant obligé de redescendre poinçonner les cartes au refuge 1 km sous le col, puisqu'il n'y a rien au sommet ...
En franchissant Cayolle (2326 m), nous entrons également dans les Alpes Maritimes, à "seulement" 130 km de Nice. Nous descendons donc les sources du Haut Var dans des paysages différents, plus sudistes, mais encore magnifiques, entre cascades et falaises ...

Cette première descente me fait souffrir, je suis bloqué et prend des trajectoires plutôt malaisées, mais j'adapte ma vitesse à cette infortune. En bas, à St Martin d'Entraunes, un violent virage à droite nous amène immédiatement au pied du col de Champs. Un bitume impeccable, une route en lacets réguliers permettent de ne pas trop sentir la pente. A proximité de Val Pélens, par contre, ouch ! Une ligne droite sévère nous rappelle que le col est à plus de 2000, et qu'il faudra passer par de nombreux passages de cet acabit pour s'en sortir ... Nous apassons une petite station avant une lègère descente, et c'est la fin des cadeaux.

Soleil de plomb, arrivée dans les pierriers, me voilà au 60ème km, traditionnel point d'échauffement de mes petons, et je ne déroge pas à la règle. Arrêt massage, je reprends. A un moment, je n'ai "que" 800 m de retard sur mon collègue, mais les derniers km achèveront ma motivation. De 9 à 11%, je grille mes dernières cartouches de fortes pentes pour atteindre à l'arrache les 2090 m de ce "petit" géant.

Et ce n'est pas fini, question difficulté. La descente, qui nous ramène dans le 04, est un vrai calvaire. Passage à gué, ornières, bitume ridé, je m'en prends plein les articulations, j'ai mal au point de m'arrêter. Nous sommes crispés sur les freins, on fait même un stop pour se décontracter. J'en suis presque à pleurer tellement j'ai mal. Cette descente ne fait que 12 km, et n'est pas reposante. En bas, à Colmars, petite ville fortifiée, Jocelyn par chercher de l'eau, je me repose en attendant.

Les bidons pleins, nous repartons vers allos, par une route étonnament plate et rectiligne, donc usante, usante. En plus, le vent est contraire. J'aborde mon chant du Cygne. Nous passons Allos, j'assure encore quelques km le tempo et pffuiit, extinction des feux. Plus de gaz ni d'eau, je passe le triple, je m'éteins, incapable d'avancer.

Je fais une large pause au village de la Foux, mange 2 barres, 1 gel, boit 1 bidon d'eau. Je n'en peux plus. Cet état de disgrâce va durer quelques km terribles, dans la station de la Foux, je refais une pause massage des pieds. Et j'attaque la dernière partie de l'ascension, 5 km étonnamment semblables à la Croix de Fer, de looooooooongues traversées de flancs et des lacets. Je ressens enfin les bénéfices de mon ingestion de sucre, je ne suis presque plus mort ... Et enfin, au détour d'un virage, le col se dévoile, encore 500 m, je me ressaisis pour le passage du col ... avant de dévorer le pique-nique tant attendu. Mort, mais le ventre plein.

Le plus dur est fait, reste désormais le plus dangereux, la descente, en total relâchement et en contemplation. Là encore, respect pour Dame Nature, qui a su sculpter des paysages insensés. Et bravo aux hommes qui ont su y dresser des routes, insensées elles aussi. Aux Agneliers, nous avons une vue plongeante sur le val de Fours et le Bachelard, où nous étions 7h auparavant ...

Enfin, nous arrivons à Barcelonnette. I did it ! Bizarrement, je suis presque mieux que ce matin, et pourtant, il y en aura eu des tours de roue, et pas des simples ... Sorcellerie du vélo, où l'on peut être mal fichu, en perdition, mais arriver mieux que l'on était parti ...

Itinéraire : Barcelonnette, Uvernet, Gorges du Bachelard, Fours, Col de la Cayolle (2326 m), Entraunes, St Martin d'Entraunes, Col de Champs (2087 m), Colmars, Allos, La Foux, la Foux d'Allos, Col d'Allos (2240 m), Barcelonnette.
118,5 km à 16,5 km/h, soit 07h11'. 3 400 m de D+.